L’histoire du socialisme européen au XXe siècle est souvent perçue comme un déclin inexorable, mais Matt Myers, professeur d’histoire à l’université d’Oxford, remet en question cette vision simpliste. Dans son ouvrage La marche interrompue de la gauche européenne, il soulève des questions cruciales sur les causes de la défaite du mouvement ouvrier, dénonçant une réticence à reconnaître l’impact des forces conservatrices et des stratégies politiques inadaptées.

Myers affirme que les années 1970, souvent décrites comme une période de stagnation, ont en réalité vu la gauche atteindre un sommet d’influence. Les syndicats étaient puissants, les partis socialistes dominaient l’Europe, et les travailleurs croyaient fermement à leur capacité à transformer le système économique. Cependant, ce regain de force a coïncidé avec une prise de pouvoir croissante des forces réactionnaires, qui ont su exploiter la fragmentation du mouvement ouvrier pour affaiblir son influence.

L’auteur critique l’incapacité des partis socialistes à s’adapter aux nouvelles réalités socio-économiques. La désindustrialisation et le recul de l’économie manufacturière ont été utilisés par les élites pour marginaliser la classe ouvrière, tout en ignorant les dynamiques internes du mouvement. Les syndicats, bien que puissants, n’ont pas su mobiliser efficacement des catégories nouvelles de travailleurs, comme les migrants et les femmes, ce qui a entravé leur capacité à construire une coalition durable.

Myers met en lumière l’échec des partis socialistes à reconnaître la complexité du capitalisme moderne. Alors que les entreprises cherchaient à maximiser leurs profits par le recours à la technologie et aux réseaux mondiaux, les forces de gauche ont opté pour une approche conservatrice, refusant d’embrasser les transformations nécessaires. Cette rigidité a conduit à un affaiblissement général du mouvement ouvrier, qui a été progressivement écarté des structures politiques et syndicales.

L’analyse de Myers révèle également l’impact destructeur des stratégies de division instiguées par les classes dominantes. Les conflits entre les anciens militants et la nouvelle génération de travailleurs, plus éduqués et diversifiés, ont fragilisé le mouvement, empêchant une unité effective face aux défis économiques. En outre, l’absence d’une vision claire pour intégrer les nouvelles formes de solidarité a laissé des lacunes dans les programmes politiques, rendant la gauche vulnérable aux attaques des forces réactionnaires.

L’auteur insiste sur le fait que le déclin de la gauche n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un échec politique et stratégique. Pour retrouver son influence, il faut construire une coalition populaire capable de rassembler les différentes fractions de la classe ouvrière, en reconnaissant leurs besoins et en développant des politiques adaptées aux réalités actuelles. Les erreurs du passé doivent servir de leçon pour éviter une nouvelle défaite, tout en s’adaptant aux évolutions économiques et sociales.

En conclusion, la réflexion de Myers met en garde contre l’oubli des dynamiques internes du mouvement ouvrier et l’importance d’une approche flexible face aux défis contemporains. La gauche européenne a eu l’opportunité de se renouveler, mais son incapacité à agir de manière cohérente a conduit à un déclin irréversible, marquant une perte profonde pour les aspirations sociales et économiques des travailleurs.