L’horreur de cette nuit a transformé des vies. Les survivants ont été contraints de changer leur existence pour se reconstruire, comme Gaëlle Messager et Claude-Emmanuel Triomphe qui ont accepté de partager leurs expériences.
Le soir du 13 novembre 2015, Gaëlle Messager était au Bataclan. Les tirs de kalachnikov emportent une partie de son visage, touchent son bras et une jambe. À la même heure, Claude-Emmanuel Triomphe prenait un verre à la Bonne Bière. Plusieurs balles lui transpercent le corps. Sa vie ne tient qu’à un fil. Survivants, ils ont décidé de changer de vie.
Pour se reconstruire, Gaëlle a misé sur son entourage, son enfant et ses amis. Elle a changé de métier, passant de responsable marketing à ergothérapeute, par l’envie de réparer les autres. « J’avais plus rien à perdre puisque je devais reconstruire. Pourquoi pas ? Je n’avais pas encore 40 ans, donc je me suis lancée », confie-t-elle. Pendant trois ans, elle a suivi une formation avec passion jusqu’à l’obtention de son diplôme.
« Le fait d’aller sur les bancs d’école avec des personnes qui ont 20 ans de moins que soi redonne un nouvel élan de vie, une nouvelle jeunesse. Et le soir, je faisais mes devoirs avec mon fils qui faisait les siens. Cela m’a vraiment aidée à me porter », raconte Gaëlle. Nadine Ribet-Reinhart, son amie qui a perdu un fils au Bataclan, s’est aussi plongée dans le travail plus que jamais. Elle est médecin. « On essaie de tirer quelque chose de cette terre brûlée, et ça, c’est important. On va résister, on va avancer », explique-t-elle.
Gaëlle n’exerce pas encore car elle est sans cesse rattrapée par les opérations. En dix ans, elle a subi plus de 50 interventions et ce n’est pas fini. Mais elle a appris à accepter son visage. « J’essaie de ne pas bugger dessus parce que ce n’est pas ça qui fait la vie, donc tant que je peux sourire, parler, échanger, embrasser… Mais en même temps, ce sont les traces de ma vie à moi, donc je ne peux pas les gommer, et ça, j’apprends aussi à vivre avec », affirme-t-elle. Gaëlle dit vouloir vivre à fond pour ceux qui n’ont pas eu sa chance.
Après les attentats, Claude-Emmanuel a lui aussi quitté son métier de haut fonctionnaire. Il est parti de Paris pour aller à Marseille. « Parce que c’était trop compliqué pour moi psychologiquement de rester à Paris », explique-t-il. Il consacre sa deuxième vie aux jeunes en difficulté, ceux qui évoluent dans des milieux précaires.
« Parmi les causes de tout ça, il y avait quand même celle d’une jeunesse à la dérive. Qu’est-ce qu’on peut faire de ça pour faire du bien à la société et pour guérir les maux d’une société fracturée ? », s’est-il demandé. Il a alors créé Citizen Campus, une association dans les quartiers défavorisés, pour aider des jeunes à communiquer et à trouver leur chemin.
Dans sa nouvelle vie, Claude-Emmanuel fréquente toujours les terrasses. « Dix ans après, je peux vivre une vie pleine et entière que, je crois, je n’ai jamais pu mener avant. Ce drame m’a aidé à grandir », conclut-il.